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La trilogie de la différence par Manuel Albano 

 

« Si deux personnes s’accordent entre elles et unissent leurs forces, elles auront plus de pouvoir ensemble et conséquemment un droit supérieur sur la nature que chacune des deux n’en avait à elle seule, et, plus nombreux seront les hommes qui auront mis leurs forces en commun, plus aussi ils auront de droit à eux tous »    Spinoza

 

 

Multitude : «  Qualité nouvelle du sujet [qui] s’ouvre au sens de la multiplicité des sujets et à la puissance constructive qui émane de leur dignité  »  Toni Negri

 

 

 

            Toni Negri, théoricien et militant ( Empire, Multitude…) met en scène dans la Trilogie de la différence des parcours politiques où la singularité de l’être révolté rejoint la multitude. A travers trois pièces de théâtre, Essaim, L’homme plié, Cithéron, l’auteur expérimente trois situations militantes d’une vérité d’émancipation…

         Toni Negri se réfère  à la tradition du théâtre épique communiste et à la tragédie antique pour construire une scène où se joue le désir de liberté dans notre monde contemporain.

 

            La pièce Essaim est un dialogue entre un chœur (qui peut représenter une multitude de voix et de corps) et un homme révolté dont les yeux s’ouvrent sur la souffrance des exploités et l’horreur d’un monde dominé par l’oligarchie capitaliste qui exploite les travailleurs, les précaires, les migrants, les femmes et les hommes pour son intérêt privé…


           
L’homme dans la pièce est tenté par un nihilisme révolutionnaire, cédant à la haine, il désire détruire le monde où règne la souffrance dans un grand éclat terroriste…Mais son dialogue avec le chœur va lui permettre d’abandonner sa passion triste,  de sortir de son nihilisme et d’envisager une autre opposition, une autre résistance au pouvoir et au capital.


           
Sa singularité se construit par la reconnaissance d’un ennemi (l’exploitant) et par le constat d’un monde désastreux où domine le pouvoir de quelques uns. Sa singularité va devenir multitude  quand l’homme va prendre conscience de l’existence du commun, de l’être ensemble, du communisme comme processus dans la dynamique du présent : « Le communisme n’est pas là-bas, dans la promesse d’un avenir radieux, mais ici et maintenant : c’est une construction qui s’annonce. »


           
La multitude s’offre comme un infini, à l’image du bourdonnement d’un essaim, qui propage les voix et les actes des hommes et des femmes qui se reconnaissent dans une communauté universelle en développant à l’infini des situations de liberté en dehors du pouvoir et de l’état. La vie en dehors du pouvoir devient nomade… Elle accomplit l’exode loin des structures étatiques qui figent l’être dans une identité, une patrie, un pays pour faire résonner l’universalité infinie de la multitude.

 

            Dans L’homme plié, Toni Negri met en scène dans un cadre historique (l’Italie sous la deuxième guerre mondiale) la résistance d’un homme face à la guerre et à l’exploitation fasciste. Un bûcheron va trouver une astuce, une ruse pour se soustraire à la mobilisation. L’auteur utilise la métaphore de l’arbre qui plie sous la tempête mais ne rompt pas pour tracer la destinée de cet homme révolté contre la guerre. Son refus individuel de la guerre constitue sa singularité d’homme libre qui petit à petit va prendre conscience de son être ensemble, de son être avec les autres, de sa partie d’une multitude. L’ami qui raconte l’histoire du bûcheron dit :


 
           « Quand cette histoire a commencé, l’Homme était seul. Il était plié, il était vraiment nu. Il tremblait de froid et de peur. Il ne s’est jamais justifié avec des expressions grandiloquentes et des affirmations de principe : les unes et les autres finissent toujours par se venger, elles sont comme les coups de poing dans le vide d’un boxeur ivre, elles brouillent la vue au lieu d’aider à reconnaître l’adversaire… Au contraire, l’Homme savait que la solitude, la différence, la résistance peuvent révéler des comportements communs et construire une multitude… Dans cette solitude, il y a un dieu qui vit, une force qui se multiplie… C’est à partir de sa souffrance, c’est à partir de notre angoisse que sa force, comme un grand vent de vie contraint d’ s’infiltrer dans les fissures de la douleur, s’est multipliée si énormément… C’est ainsi que le cataclysme que nous avons construit tous en commun a pu être possible. Il est le commun… »

 

            Dans la troisième pièce Cithéron, Toni Negri emprunte à l’antiquité le sujet de sa tragédie… Elle ne conclut pas la Trilogie mais ouvre à l’exode et à l’impossible comme désir, évitant ainsi de fixer dans un dogme la perspective révolutionnaire, laissant la puissance de la multitude à son devenir.


           
La pièce reprend le thème des Baccantes d’Euripide (de nombreux extraits de la tragédie antique se mêlent au texte de l’auteur) dans le contexte de nos sociétés « post-modernes » (importance de la techné  qui crée un nouveau mode de communication…) La pièce met en scène l’opposition de la multitude au tyran Penthée, symbole de la réaction qui refuse l’avènement d’un autre monde, du commun, de la démocratie… Les fêtes de Dionysos, dieu de la liberté, symbolisent cet autre monde où la multitude (faîte de migrants, de femmes et d’hommes) se retrouve  sur la montagne Cithéron pour construire une puissance de vie libre et égalitaire dans la danse et la joie. Dionysos est un dieu étranger, symbole de la révolte qui condense en son nom l’opposition à un état tyrannique replié sur son identité et refusant l’avènement d’une communauté universelle. Dionysos est un élément hétérogène qui remet en cause la structure homogène de l’état. L’action révolutionnaire est menée par Agavé la mère du tyran Penthée…

 

            Dans la Trilogie de la différence, Toni Negri à travers la fiction donne une vue didactique de ses théories, grâce à une mise en scène,  des histoires, des personnages, qui nous content l’expérience de l’être humain comme une singularité existante qui se constitue dans une multitude porteuse de liberté, d’infini et de révolution…

 

 

                                               Manuel Albano

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