Sous le signe de Jacques Prevel
par Manuel Albano
Quand je déboule dans Paris le coeur abîmé par un amour qui ne peut vivre parce qu'elle a son regard capturé dans le miroir d'un autre, entre les murs de la ville, serré dans les ténèbres, sans lumière ni feu, dans l'ombre de la désespérance, je pense à toi Jacques Prevel, poète des profondeurs. Paris résonne de tes pas quand dans ta misère d'artiste maudit tu déambulais en compagnie d'Antonin Artaud dans les rues ouvertes et sanglantes.
Paris et toi, tu y as laissé tes traces et c'est toi que je cherche, mon frère, dans les dédales obscurs de la ville.
Tu sais ma ville est noie et souterraine comme un enfer parce qu'aucune lueur, aucune flamme, aucune femme n'éclaire les sombres rues de ma ville d'ombre.
Je te vois crachant tes poumons et tes poèmes à l'absolu, à l'infini, à la vie transfigurée, mais toutes les portes étaient closes, ta plainte tournoyait dans le vide, tes mots incompris, ta douleur, ta déchirure n'ont pu trouver de lecteur, d'éditeur ou si peu mais par delà les années (c'est ta vengeance) ta voix chagrinée est venue jusqu'à moi, lorsque si seul, apeuré et perdu, je demeure dans un silence glacé, tes mots, tes poèmes viennent chuchoter leur souffrance qui accompagne comme un chien ma douleur de vivre.
Ce soir, égaré, au coeur de paris abîmé, je lis ton premier poème qui ouvre ton recueil Poèmes Mortels et c'est comme si j'avais écrit ces mots tellement ta douleur répond à ma douleur.
Je te laisse parler, chanter :
" Ni l'ombre ni la lumière
Que l'aspect désolé des jours et du temps fragmenté
Ni l'ombre ni la lumière
Rien qu'un ciel désolé
Tout pesant d'inquiétude d'anxiété et d'irréel
En moi.
Ni l'ombre ni la lumière
Que la peur des années qui marquent mon visage
Et me font immobile et triste dans le temps
Ni l'Amour ni la Gloire
Ni l'espérance du Génie
Pas même la certitude de marcher à la rencontre
Du vide et du silence
Pas même la certitude de jouir de l'automne
Rien que l'exil
Pas même le bruit du vent, pas même la pluie
Pas même le nivellement heureux d'un secret désir vain
Ni l'ombre ni la lumière
Rien qu'un malaise et le temps fragmenté
En moi. "
Ces mots montent de ton tombeau alors que dans mes rêves j'ouvre ta tombe pour voir tes os blancs, tes restes enfouis.
De sous la terre ton chant monte en moi par delà ton squelette, ta poussière, je m'accroche à tes poèmes et à tes mots écrits qui sont tes restes pour l'éternité. Demain je vais mourir, dans quelques années, parce qu'une Erreur ne peut s'éterniser, je laisserai ma trace qui un jour s'effacera, je suis venu, j'ai fait des pirouettes puis je suis parti, mais je suis de ta race maudite, de ta communauté et nos chants désespérés s'en vont dans le vide, dans le trou, la mort, mais peut être que nous laisson un écho qui résonne dans le coeur des vivants, toi certainement puisque tu me parles par delà ta mort, moi, je suis une voix si faible, si fragile mais mes mots sont fils de tes poèmes, mon frère, et il y a sûrement des étoiles qui naissent de notre douleur, dans le cosmos s'en vont nos mots, nos histoires, notre désespoir comme un chant immense à la gloire de la vie.
Notre vie.
Nous sommes mors sur des pages griffonnées de traces...
Jacque Prevel - En compagnie d'Antonin Artaud (Flammarion)
Manuel Albano