Le mois dernier, j''ouvrais par hasard ce roman perdu dans la kyrielle d'ouvrages de la rentrée littéraire et commençais à en feuilleter les premières pages, lorsqu'une cliente fit son entrée dans la librairie. En apercevant le livre d'Ammaniti posé à côté de la caisse, ses yeux devinrent soudain flamboyants, j'eus droit à une éloge sans pareille de ce livre dont visiblement le héros la mettait dans un état proche de l'hilarité.
Faisant mine d'avoir tout de même un peu entamé le roman, et bien que n'ayant pas encore compris de quoi il en retournait exactement, ni ce qui pouvait mettre ma cliente dans cet état avec toutes les horreurs qu'elle décrivait, elle me demanda quelque chose dans le même style : horrible et drôle, ne sachant quoi lui donner, je me contente de l'horrible, me disant que ce serait bien une première, mais qu'après tout ça pourrait peut-être la faire rire aussi : "Les chants de Maldoror".
Le soir j'entame véritablement ma lecture et ne décolle pas du livre d'Ammaniti, me mordant les doigts d'avoir conseillé Maldoror, jamais je n'avais été aussi à côté de la plaque dans un conseil (je profite de cette note : si vous me lisez je m'engage à vous offrir un livre véritablement dans la veine d'Ammaniti).
"Comme Dieu le veut" n'a bien sûr rien à voir avec Maldoror ni par le style, la prose, ou ce qu'il s'en dégage, hormis peut être une certaine nausée de temps en temps, car le lecteur est immergé dans le tableau sinistre d'une Italie profonde abrutie par l'alcool, la télévision et le consumérisme. "Comme Dieu le veut" est avant tout un livre drôle, fondamentalement drôle, plein de vie, bouillant d'humanité, avec des personnages attachants qui font penser à "Affreux, sales et méchants", le film d'Ettore Scola.
Le roman a pour héros Rino Zena, un personnage qui vous terrorisera, vous attendrira et vous fera rire : un psychopathe néo-nazi, condensé de tous les vices possibles, une sorte de Kinsky à l'italienne, alcoolique, chômeur perdu dans une plaine désolée, et qui a trouvé le moyen d'avoir un fils : Cristiano, qu'il "élève" seul et auquel il voue un attachement viscéral.
Cristiano, livré à ce père monstrueux qu'il aime malgré lui, se doit d'être toujours aux aguets, observant Rino dans ses moindres faits et gestes comme un animal imprévisible, avec la peur quotidienne qu'il vienne se mêler de ses affaires. C'est à travers le regard de Cristiano, souvent inquiet, parfois haineux, parfois attendri, ou follement affectueux comme les "jours avant le jour de la bonne impression" (les samedi où l'assistante sociale vient surveiller la tenue de la Maison Zena pour tenter de séparer le père du fils), que l'on observe le phénomène Rino en action dans un quotidien à la fois si pauvre, si fou, et si riche en péripéties grotesques.
Rino a deux amis : Quattro Formaggi et Danilo. Compagnons de la bouteille, rêvant d'échapper à leurs quotidiens, ensemble ils se préparent à monter le "casse du siècle" avec une pelleteuse, casse sous fond de déluge qui vire au drame et à l'horreur, les destins de chacun des personages vont basculer et une métamorphose dérangeante s'opère.
Le roman, profond, déroutant, est une illustration parfaite des propos tenus par Romain Gary dans un petit article de la fin des années 70, trop méconnu et intitulé "la société de la provocation", que l'on peut trouver dans "l'affaire homme" (folio), dans lequel if fait écho à la société de consommation de Baudrillard..